26 août 2008

Les 1000 milles du Jasmin : en Sicile

IMG_0388.jpg
9 août, au large du sud Sardaigne: les heures s'écoulent dans une chaleur écrasante. Nous vidons nos réserves d'eau par litres. A 14 heures nous croisons une grande tortue en surface.

Toute la journée, la nuit, le jour suivant, alterneront les heures sous voiles et au moteur, au gré du vent mollasson qui rechigne à nous pousser.

Au matin du 11 août, les îles Egades et les côtes de Sicile sont bien visibles.



A 13 heures, nous doublons le cap Solanto au nord ouest de la Sicile et nous nous offrons le luxe d'un dernier bord sous spi avant l'arrivée.

IMG_0391.jpg 
 
IMG_0394.jpg

Nous aurons parcouru les 207 nautiques de cette étape en 45 heures. Nous sommes à 16h30 devant l'entrée du port de Castellamare di Golfo, joli port dédié à la pêche et à la petite plaisance au moteur. Très peu de voiles, mais l'arrivée de la flottille du Jasmin va quelque peu bouleverser cet équilibre.

IMG_0396.jpg 
 
IMG_0397.jpg

Après contact par VHF, le comité de course nous envoie une équipe sur Zodiac pour nous aider à nous amarrer. A ce moment, le bateau peut avancer au moteur, mais n'a ni point mort ni marche arrière. Après nous être mis à couple du Zodiac, je ne peux que couper le moteur et nous nous laissons déhaler vers notre place, choisie pour sa facilité d'accès en bout de ponton.

IMG_0399.jpg

Nous demandons un mécanicien qui arrive dans la demi-heure. Après avoir identifié la pièce à remplacer, il repart en assurant de son retour le lendemain.Le bateau est en sécurité, les problèmes sont identifiés et ne devraient plus être bientôt qu'un (mauvais) souvenir. Comme pour saluer cette arrivée, Guy se casse la figure une nouvelle fois entre le quai et le bateau !

Je reste à bord toute la journée du lendemain, manquant ainsi l'excursion-phare de la croisière sur le site phénicien de Sélinonte... Personne ne viendra ! Je m'occupe au rangement du bateau, à de menues réparations, des manilles à resserrer, du nettoyage... Vers le soir, je décide de m'attaquer au mécanisme d'inverseur qui, à l'évidence, ne sera pas réparé. Les 2 câbles de commande, l'un pour l'embrayage, l'autre pour les gaz, peuvent être manœuvrés à la main mais la prise est difficile. Après avoir fixé à leur extrémité un démanilleur et un manche de clé à bougie, l'opération est nettement plus commode. Avec Guy, le système sera amélioré en remettant une partie des pièces démontées qui permettent d'immobiliser les gaines des câbles. Nous faisons quelques tests à quai : le système fonctionne !

C'est en guise de revanche que nous allons participer à la régate du 13 août, parcours-banane devant la longue plage adjacente au port. Bon départ malgré l'indiscipline de Jean-Claude qui prend des photos au lieu de border son écoute... Les deux bords par vent travers, sans histoire. Les bateaux rapides sont devant et nous derrière, l'ordre est respecté ! Mais nous n'avons pas démérité et nous nous en sortons tout à fait honorablement : manière de confirmer que, à part la commande moteur, le bateau est indemne et avance parfaitement.


IMG_0403.jpg 
 
IMG_0404.jpg

Le retour au port va nous offrir un épisode de plus dans notre suite d'infortunes : nous faisons le plein de gazole et regagnons notre place. Avec notre montage sur la commande moteur, les manœuvres au port se passent assez bien... jusqu'à l'amarrage : une des pendilles, complètement pourrie, se rompt, laisse filer le bateau en travers... et va bien entendu se prendre dans l'hélice !! Après avoir assuré le bateau avec mes bonnes amarres à moi, j'ai donc droit à une plongée sous le bateau. Il y a 3 tours, heureusement pas trop serrés, dont j'aurai raison après plusieurs descentes en apnée (on se croirait dans une BD par moments...!).

14 août : briefing spécial du comité de course. Les prévisions météo sont mauvaises : avis de fort coup de vent sur la zone ouest Sicile et sud Sardaigne. Le départ est retardé jusqu'à nouvel ordre. Pour nous ce seront 2 jours de plus à passer à Castellamare di Golfo, charmante cité de 20.000 habitants mais aux ressources un peu limitées pour le visiteur...
Pour le comité de la Route du Jasmin, c'est le casse-tête redouté des changements de programme : les propriétaires des places que nous occupons demandent à les récupérer, certains pontons ne sont pas sûrs face à la houle du large qui s'annonce et il va falloir déplacer les bateaux, l'étape suivante en Sardaigne est bouleversée. Toute la journée, des bateaux quittent leur place pour aller s'abriter derrière l'énorme digue en construction à l'ouest du port. Situation peu enviable : le quai n'est pas équipé, pas d'eau ni d'électricité, pas d'accès non plus sinon en annexe. Le mur titanesque coupe la brise du large et rend la chaleur insupportable. Nous avons eu la chance de rester au milieu du port et de garder un peu d'air... Le vent du sud va souffler, portant la température jusqu'à 38° à l'ombre ! Quelques sorties avaient été prévues vers les mouillages de la côte proche, des promenades à pied : rien de tout cela, les équipages sont terrassés sur leurs bateaux, cuisant doucement en attendant le passage de la tempête sous un ciel plombé...

IMG_0407.jpg 
 
IMG_0406.jpg

Entretemps nous aurons eu droit à un (somptueux, cette fois) dîner de clôture avec la remise des prix, le classement étant établi à ce point du parcours car il ne restera pas assez de temps à l'ultime étape pour ce cérémonial. Nous avons de quoi nous réjouir : Ligeia est classé 6ème sur 14 dans sa catégorie, et 23ème sur 62 au général.

Au bout de ces 4 jours sur place, les cafés et restaurants fréquentés par les Palermitains en goguette (Palerme est à une heure de route) n'ont plus de secret pour nous. Nous avitaillons en fruits (un incroyable marché presque oriental avec des melons verts énormes, des pêches succulentes, pour une poignée d'euros), en vins de Sicile, et surtout en eau vu notre consommation passée : transformés en ânes de bât sous la chaleur, nous chargeons 60 litres d'eau en bouteilles ...

16 août : le signal du départ est enfin donné pour la fin de matinée. Nous n'attendons pas la mise en place de la ligne de départ et quittons le port à 11 heures. Nous trouvons une mer encore bien formée avec une houle résiduelle et un vent de NW de 9 nœuds que nous prenons par un premier bord plein nord au près. Ce vent va bien vite faiblir, et nous remettons le moteur dès 16 heures. Toute cette étape va osciller entre des bords sous voiles par vent faible prenant toutes les directions, et de longues heures au moteur avec des moments d'authentique pétole.

IMG_0411.jpg 
 
IMG_0408.jpg

Nous atteignons La Caletta, au nord est de la Sardaigne, le 18 août à 14h. Ce parcours de 221 milles nous aura pris 51 heures, dont 34 au moteur. Le port est vite rempli par ce qui reste de la flottille : plus de 20 bateaux ont abandonné depuis le début de l'expédition.

IMG_0424.jpg

L'escale à La Caletta sera courte : bref avitaillement, discours de clôture... Les élus locaux, pour compenser un peu les festivités prévues et annulées, tiennent le micro plus d'une heure en rivalisant de formules convenues poliment applaudies par des équipages affamés. Le buffet un peu indigent nous lasse vite et nous nous rabattons sur une excellente trattoria en ville avant notre dernière nuit en terre italienne.

IMG_0423.jpg

19 août : la Route du Jasmin 2008 est terminée. Pourtant le parcours qui nous reste sera certainement le plus beau et le plus intéressant en navigation. D'une traite, nous longerons la côte nord est de la Sardaigne, nous passerons par l'archipel de La Maddalena puis les Bouches de Bonifacio avant de suivre la côte occidentale de la Corse, enfin la traversée jusqu'aux côtes varoises : environ 230 nautiques que nos prévoyons de couvrir en 52 heures.

Départ à 10h et première bonne nouvelle : il y a du vent,maintenant que la course est terminée... Par vent travers, voire au largue, dès la sortie du port nous avançons à bonne vitesse. La seconde bonne nouvelle est l'absolue beauté de cette portion de la côte sarde, découpée en calanques et îlots abrupts qui se succèdent en lames parallèles jusqu'au nord. Beaucoup de bateaux, de nombreux ports entre La Caletta et Porto Cervo.

IMG_0426.jpg 
 
IMG_0439.jpg 
 
IMG_0440.jpg 
 
IMG_0457.jpg

Nous atteignons le cap Ferro à 17 heures et entrons dans le canal qui traverse les nombreuses îles de la côte nord, éparpillées autour de La Maddalena. Le vent fraîchit un peu dans ce goulet et devient assez instable, obligeant à une grande vigilance à la barre. J'ai tracé la route au GPS et nous la suivons avec précision. Le chapelet d'îles et de canaux luisant dans la lumière rasante de la fin de journée offre un magnifique spectacle.

IMG_0486.jpg 
 
IMG_0469.jpg

Mais bientôt l'atmosphère change : le soir tranquille se métamorphose par l'arrivée de vagues serrées de canots à moteur. Par dizaines, centaines peut-être, ils convergent par files dignes des périphériques urbains aux heures de pointe, faisant vrombir des moteurs monstrueux qui soulèvent d'énormes vagues dans l'étroit passage : Venise en 10 fois pire...

IMG_0485.jpg 
 
IMG_0471.jpg 
 
Dans les cockpits capitonnés de cuir beurre frais, les pilotes furieux, tétanisés sur la manette des gaz, s'appliquent à ressembler à leur propre caricature pendant que d'étourdissantes créatures au bikini millimétrique poussent en cadence des petits cris de terreur. Cette horde de Huns maritimes, après une dure journée baignade-bronzage, est visiblement convoquée d'urgence dans les marinas chics du coin pour les indispensables cocktails des aventuriers de l'écran total.

IMG_0475.jpg

Corse2003_336.jpgNous qui revenons quasiment d'un tour du monde, mal rasés, le cuir tanné et fleurant la saumure, affichons notre serein mépris pour cet univers futile...














Le gréement n'en peut plus de ce remue-ménage qui ôte toute efficacité aux voiles, et nous voila contraints de faire allégeance, nous aussi, au dieu moteur. Heureusement nous quittons bientôt ces boulevards et leurs torrents de bruit, passant devant le port de La Maddalena et continuant à l'ouest vers les Bouches de Bonifacio.

IMG_0477.jpg 
 
IMG_0480.jpg

Nous passons les Bouches à la tombée de la nuit, en trouvant comme on pouvait le prévoir un fort vent d'est qui nous fait filer à 7,5 nœuds. Là encore, ce passage est magique, à égale distance des côtes corses et sardes qui scintillent de tous leurs feux, dans des conditions météo idéales. Une fois ce tableau derrière nous, nous reprenons les quarts de nuit. Le vent tombe progressivement et le moteur est remis en marche jusqu'au matin.

Nous longeons la côte ouest de la Corse toute la journée du 20 août : la baie de Propriano, puis Ajaccio et les îles Sanguinaires. Plus loin au fur et à mesure que nous progressons au nord ouest, Cargèse, Porto, la Scandola se noient dans la brume...

A 17 heures, aucune côte n'est plus en vue et nous touchons à l'évidence une "queue de mistral", bien conforme aux prévisions météo : vent de force 5 à 6, restant au NW qui nous permet de rester assez proche de notre route au près. Ce qui n'était pas prévu, c'est la mer qui monte, monte... Après avoir pris 2 ris, je débranche le pilote pour négocier les vagues courtes et effilées qui soulèvent le bateau et le font retomber en tapant dur. Je reste ainsi à la barre 2 bonnes heures dans des conditions encore assez confortables. Mais la mer grossit encore, la houle atteint largement les 2 mètres et reste très serrée. Nous réduisons le génois, la grand-voile est un peu débordée, rien ne traîne sur le pont, tous les panneaux et la descente sont fermés et les rangements intérieurs vérifiés. Le bateau est très secoué (et nous avec !) mais reste sur sa route.

A 19 heures, les vagues sont verticales et grossissent encore. Je vois arriver une première déferlante qui domine entièrement le bateau et tombe en inondant le cockpit : la douche pour nous, 10 cm d'eau qui s'évacue en torrent par l'arrière... Le bruit est infernal : sifflement du vent dans la voilure, impacts rythmiques des drisses, chocs de l'étrave du bateau à chaque vague, et ce grondement énorme de la mer qui avance sur nous sans relâche... La nuit est tombée et la situation devient franchement inconfortable à la barre. Il n'est plus possible d'éviter les chocs de l'étrave, tant les vagues se succèdent à grande vitesse avec des creux désormais supérieurs à 3m50. Je règle le pilote sur une bande morte minimale et un gain maximal. Le moteur est mis en marche pour assurer l'équilibre du bateau et parer à toute défaillance des batteries : on ne l'entend pas démarrer au milieu du tapage ambiant, mais sa vibration régulière nous assure de son bon fonctionnement. La grand-voile reste arisée à 2 ris et le génois enroulé en tourmentin. L'agitation est à son comble, on se croirait dans une machine à laver ! Le pilote conduit le bateau sans faiblir à l'assaut de chaque vague l'une après l'autre. Nous prenons encore plusieurs déferlantes qui abattent des hectolitres d'eau verte, vite évacuée par la plage arrière. Le bateau reste au près en prenant les vagues en oblique, sous le contrôle du pilote qui lofe et abat par petites touches précises en cliquetant sans relâche. Le vent reste autour de 25 nœuds, au NW et toujours au près. Nous maintenons une vitesse de 4,5 à 5 nœuds. Après avoir changé mes vêtements entièrement trempés, Guy de quart abrité par la capote, je me coince entre la table du carré et le sac de spi au milieu de ce chahut, éprouvant les mouvements cycliques du bateau : montée vigoureuse pendant 3 à 4 secondes, suspension en l'air presque sans mouvement à part un léger basculement, puis chute verticale dans un fracas d'éclaboussures, de bruits de coque et de résonance des réservoirs... C'est presque une ivresse : ainsi immobilisé, j'arrive à dormir une bonne heure !!

Les quarts se succèdent... Après 1 heure du matin, on observe un début d'accalmie. On sort du couloir de mistral, et assez vite la mer devient simplement agitée, sans plus. Il n'y a plus de déferlantes ni de vagues de plus de 2 mètres. Le vent refuse et se retrouve face à notre route. Les voiles ne servent plus guère qu'à stabiliser le bateau : génois enroulé, c'est désormais le moteur qui nous pousse. Il reste une trentaine de milles et nous finirons ainsi le parcours. La "grosse tannée" aura duré 7 heures, sans erreur ni dégât cette fois.

21 août : avant le lever du jour, c'est comme toujours le phare de Camarat qui est le premier feu visible. Nous passons au large de Cannes, du Drammont... tout est désormais tranquille, il n'y a plus que 5 nœuds de vent qui permettent une manœuvre de port sans difficulté. Nous sommes à quai à Port-Fréjus à 8h30. La traversée Corse-continent nous a un peu retardés : plus qu'une réduction de vitesse, nous avons subi une nette dérive à l'est que montre le tracé enregistré sur le GPS. Malgré tout, nous avons couvert ce trajet de retour de 228 nautiques en 46 heures, nettement plus vite que prévu. Des images plein les yeux, des sensations plutôt fortes... n'étaient les blessures du bateau qui restent, il y aurait tout lieu d'être totalement heureux quand nous posons le pied sur la terre ferme.

Epilogue :  la Route du Jasmin est à juste titre une véritable institution dans l'univers des courses-croisières méditerranéennes. Bien qu'amputée de son étape tunisienne cette année, elle nous a conduits sur un parcours bien conçu, menée par une équipe aguerrie et souvent admirable. Un bémol : la longueur et le nombre des étapes obligent à rallier les escales dans un temps limité. Vu le climat dans la zone en août, le manque fréquent de vent a obligé à beaucoup naviguer au moteur (plus de 100 heures sur l'ensemble de la course), ce qui est frustrant pour une course à la voile.

Un bateau tel que Ligeia montre ses limites sur ce genre de parcours : problèmes d'autonomie sur les longues distances (surtout quand les avitaillements prévus sont défaillants !), performances en rapport avec la taille et donc pénalisées dans le petit temps dominant, confort évidemment minimal dans les conditions météo "musclées", inévitables sur un itinéraire aussi long. Malgré ces restrictions, et malgré les avaries subies, le bateau s'est pourtant très bien comporté et a prouvé ses qualités de navigation et de sécurité.

A refaire... dans quelques années peut-être !

Lien utile : Route du Jasmin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Laissez vos commentaires ici