28 août 2010

Fin de parcours aux Canaries

Pré-transat 2010 - 5

Rabat-La Graciosa - 474 nautiques 



18 août. La plus longue étape : quatre jours de mer pour atteindre l'extrémité nord de l'archipel des Canaries.

La météo est correcte : du portant avec vent constant de secteur nord, force 5 à 6 au début, 4 à la fin. Le secteur des Canaries est agité avec force 7 depuis le début de notre croisière. Ça devrait s'arranger pour notre arrivée.

En retraversant la zone côtière à la sortie de Rabat, nous voyons un tapis de casiers et filets, juste signalés par une bouteille en plastique à peu près invisible. Les barques de pêcheurs sont partout. Nous faisons le slalom entre tous ces obstacles - l'autre nuit, nous avions foncé dans le tas sans rien voir, hélice en marche qui plus est !

Dès les premières heures, nous avons 15 à 18 nœuds en travers, nous filons à 8 nœuds. Houle de nord-ouest progressivement croissante. Les 3/4 de l'équipage sont malades...

La nuit il faut ouvrir l'œil : des pêcheurs encore et encore, des cargos (destination Conakry, Dakar...), et, dernière friandise, des filets dérivants que nous avons longés pas vraiment loin. Tout cela ne va pas aider le développement de la plaisance ici...

19 août. Vent de nord 16 nœuds, houle 1,50 m, temps ensoleillé, température 26°C. Équipage malade à 50%. Des avaries : la manille du rail d'écoute casse une fois de plus. Je répare en songeant sérieusement à changer cette pièce, la seule qui reste, ou à peu près, de l'accastillage d'origine. Léger souci également réparé sur le circuit électrique : probablement un faux contact qui empêchait la recharge des batteries.

Le soir, le vent fraîchit jusqu'à 23 nœuds, les vagues atteignent et dépassent parfois 2 mètres. Après nouveau point météo, je modifie la route pour nous éloigner d'une zone de coup de vent sur Agadir. Au surf, le bateau trace plusieurs fois jusqu'à 13 nœuds ! Vu les fortes secousses, les repas sont réduits à leur plus simple expression : même assis on se tient difficilement et l'ouverture des équipets déclenche la chute de tout leur contenu dans un torrent de jurons plus ou moins sonores selon l'acteur du drame. Nous piochons dans un plat à même le sol, retour à une convivialité primitive... Pour la nuit, nous laissons travailler le pilote : à part quelques fortes embardées sur les plus grosses vagues, il mène le bateau sans état d'âme et les quarts sont tranquilles. Nous n'avons rencontré aucun bateau depuis 24 heures.

20 août. Temps gris, 27°C. La force du vent diminue lentement. Les deux ris sont largués et nous rattrapons la route au grand largue. Le bateau est beaucoup moins secoué et l'équipage reprend des couleurs.

On peut de nouveau s'attabler pour les repas, au prix de quelques verres renversés sur les genoux.

On croise quelques rares cargos, et un grand voilier au moteur nous dépasse dans la nuit.

21 août. Temps couvert, 25.5°C. Vent poussif 8 à 9 nœuds.














On hisse le spi



 
Scènes de la vie ordinaire en navigation 

Dans l'après-midi nous retrouvons un bon vent de 11-12 nœuds. Toujours sous spi, nous filons à 7 nœuds. La première terre est visible à 18 heures.
 
L'île Alegranza, première des Canaries par le nord

Le vent se renforce à l'approche des îles : 14, 15 nœuds. Le spi est affalé et nous commençons à la nuit tombante à louvoyer entre les îles. 

A minuit pile nous sommes au sud de La Graciosa où est prévu notre mouillage. L'endroit est truffé de hauts fonds et de brisants, et il fait un noir d'encre. J'ai l'œil rivé au sondeur, au GPS et au radar, avec mes équipiers en éclaireurs à l'avant. L'ancre jetée dans la première crique, Bahia del Salado, rencontre du rocher et chasse immédiatement. 

Nous allons plus loin, à Playa Francesa, où se trouvent 3 ou 4 autres bateaux. Je stoppe à bonne distance de la côte par 10 mètres de fond. L'ancre tient bien sous 15 nœuds de vent. Avec une demi-journée d'avance sur la route prévue, nous sommes arrivés aux Canaries !

Escale à La Graciosa

22 août. Nous découvrons le décor au réveil : nous sommes au pied d'un volcan, trois autres cratères s'alignent au nord.

 



Débarquement : l'annexe une fois de plus en service

La Graciosa est une petite île volcanique de 9 km x 3 km. Les quatre cratères s'élèvent au milieu de dunes de sable semées d'une maigre végétation épineuse. Des chemins de randonnée font le tour de l'île et l'ascension des volcans ; ils sont praticables à pied, en VTT ou en 4x4, dans une nature totalement sauvage, à l'écart du tourisme de masse qui sévit beaucoup aux Canaries. Les longues plages de sable fin sont quasi-désertes.



A l'est, les hautes falaises de Lanzarote

Le tourisme familial est limité et se concentre sur le port, où le petit commerce local assure l'essentiel. Nombreuses navettes pour l'île de Lanzarote qui n'est séparée de La Graciosa que par un détroit d'1 km de large.
 

Le port Caleta del Sebo


Halte gastronomique

Sur le port, la plage et le village de vacances
 



Nous laissons à regret cette île si préservée, respirant la sérénité et les grands espaces malgré sa petite superficie.
  



La Graciosa-Playa Blanca (Lanzarote) - 36 nautiques



23 août. Temps très gris, nous levons l'ancre sous 15 nœuds de vent toujours nord-nord-est. Pour contourner l'île de Lanzarote, nous n'allons pas rééditer la galère de Majorque et nous prenons sous 1 ris la route directe au vent, c'est à dire la côte ouest.
 

Après les hautes falaises un peu sinistres de la partie nord, on longe une chaîne volcanique où les cratères s'alignent au milieu de vastes champs de lave noire. Les coulées vont jusqu'à la mer. Aucune végétation dans cette désolation, on aperçoit quelques pistes et de rares villages isolés.
 




En tournant l'extrémité sud, le vent fraîchit jusqu'à 22 nœuds. Nous prenons un deuxième ris. Les creux dépassent 2 mètres et nous offrent quelques départs au lof. Nous filons entre 7 et 8 nœuds et arrivons après 6 petites heures de navigation à Playa Blanca, à l'extrémité sud de Lazarote.

Lanzarote : Playa Blanca

Nous entrons dans Marina Rubicon, port de plaisance de grand standing et très touristique. Entretemps, le ciel s'est éclairci et la température monte rapidement à 29°C juste pour notre entrée au port.
  
Marina Rubicon

Après accueil à la capitainerie par une affolante créature (les mâles de l'équipage étaient tout retournés !), nous relâchons pour une nuit avant notre dernière étape.
  



Playa Blanca-Pasito Blanco (Gran Canaria) - 118 nautiques



24 août. L'ultime étape !

Quelques émotions dès le départ : nous prévoyions une survente au passage de la Punta Pechiguera, au sud de Lanzarote, mais elle a été particulièrement violente : de 5 à 16 nœuds en quelques secondes, puis 22 nœuds la minute suivante. Nous prenons un puis deux ris, secoués dans des creux de 2 mètres. La 2ème bosse de ris n'a rien trouvé de mieux que de se coincer, nécessitant des acrobaties de Denis en bout de bôme. En quelques minutes le bateau est stabilisé et nous filons à 8 nœuds. Il y a une longue houle qui nous fait embarder de temps en temps. Temps nuageux, assez frais.

Comme pour Lanzarote la veille, nous suivons de loin la côte ouest de Fuerteventura : même style de chaîne volcanique qui disparaît bientôt à l'horizon.
 












Le vent est stable à 20 nœuds, nous tenons 7 nœuds de moyenne, tout va bien...












25 août. 1h30 du matin : Denis est de quart, le sommeil me fuit un peu et le bateau s'agite. Je monte le rejoindre. Toute la côte de Gran Canaria est illuminée et la pleine lune a fini par avoir raison des nuages : magnifique spectacle !

Nous suivons les évolutions d'un cargo qui a déclenché une alerte de collision à l'AIS, mais il croise à plus d'un mille devant nous.

Selon le dernier point météo, il y aura un fraîchissement du vent sur notre route entre les îles : 24 nœuds sont prévus. Cette prévision tient compte apparemment des reliefs, jusqu'ici nous n'avons pas eu de surprise. Oui mais c'est différent : ce sont nos dernières heures, il nous faut un souvenir inoubliable...

En effet, dans la zone concernée, les 24 nœuds sont atteints. Mais la barre est vraiment dure, le pilote n'arrive plus à contrer les autolofées : pour la première fois nous allons mettre le 3ème ris.

Tiens, 26 nœuds de vent, 3 mètres de creux... Teles commence une série de surfs en dépassant allègrement 10 et même 11 nœuds. Mais ça continue : 28, 29 nœuds de vent. A la barre, tout change : malgré la vitesse du bateau à plus de 9 nœuds, on sent un souffle puissant par l'arrière. Le bateau va aussi vite que les vagues, d'où des surfs prolongés comme s'il volait. L'eau n'adhère plus au safran qui devient très lâche. L'ordinateur enregistre jusqu'à 32 nœuds de vent apparent (on a donc tâté du force 8 réel : 36, 38 nœuds peut-être), et jusqu'à 14,5 nœuds de vitesse fond ! Cette course durera plus de 2 heures. Du stress et des sensations fortes, en tout cas du jamais vécu par Teles jusqu'ici.

Une fois arrivés au sud de l'île, l'énorme relief de Gran Canaria nous dévente complètement et le vent tombe brusquement à moins de 5 nœuds. Nous en sommes réduits à terminer au moteur pour les 6 milles qui restent.

Entrée nocturne dans le port de Pasito Blanco. Ce n'est pas reluisant : installations vieillottes, amarrage sur pendilles malgré la marée (2 m de marnage moyen). Nous prenons un amarrage provisoire à la station carburant.

Le port de Pasito Blanco



A 8 heures la capitainerie nous indique notre emplacement définitif, entre deux bateaux hors d'âge qui ne doivent pas sortir souvent. J'aurais rêvé mieux pour mon fier Teles qui nous a si bien menés sur ce parcours exceptionnel. J'espère qu'il sera ici en sécurité jusqu'en décembre.


Quelques chiffres : 

Distance parcourue : 1728 nautiques, soit 3200 km.
Nombre de jours en navigation : 20.
Nombre de nuits en mer : 12.
Consommations : gazole 215 l, méthanol (pour la pile à combustible) 25 l.

Lien utile : Réservation de mouillage aux Baléares : Portsib.es

Merci à Denis pour ses contributions en photos.


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