24 juillet 2011

Des Açores à Gibraltar contre vents et courants

Transat 2011 - 6

Départ de Horta le 13 juillet. La météo nous prédit un passage par l'est de l'anticyclone, donc du vent de nord en travers assez soutenu, voire fort, sur tout le parcours.

Nous avons tellement manqué de vent jusqu'ici, nous allons en avoir !











Après un dernier avitaillement, les formalités administratives sont accomplies avec courtoisie et sans aucune difficulté.









Passage par le ponton d'accueil


Nous découvrons Horta de jour en quittant le port, l'ensemble de la petite île de Faial et surtout l'île de Pico en face, avec son volcan en forme de sein parfait (!) culminant à 2351 m.
 
Horta vue du sud

L'île de Pico
 
Dès les premiers milles c'est un festival de dauphins : des groupes de plusieurs dizaines d'individus chassent en bande et certains viennent nous rendre visite pour un spectacle de cabrioles dont on ne se lasse pas.


En quittant le détroit entre Faial et Pico nous trouvons un vent d'est que j'avais prévu de contourner en arrondissant par le sud pour reprendre ensuite de l'est et revenir sur la route directe vers Gibraltar. Mais bientôt nous sommes trop au sud avec un vent faible de face, pas moyen d'avancer. Je corrige avec quelques heures de moteur pour récupérer du vent plus soutenu de nord-est, puis nous suivons le vent adonnant progressivement vers le nord. Expérience faite, quitte à faire du moteur, il aurait mieux valu quitter Horta par une route nord-nord-est puis attraper l'anticyclone plus au nord et redescendre au portant. Ben oui...

Nous quittons l'archipel des Açores par le groupe oriental, entre les îles de Sao Miguel et Santa Maria. Là se trouve un chapelet d'écueils en pleine mer, les Formigas, à peine visibles sur les cartes et qu'il vaut mieux avoir repérés : par hasard, notre route passe juste dessus.
 
Les Formigas
   
Patrouille et mouillage en poste avancé

Depuis les Açores au près : on en bave !

Nous voilà donc partis pour plusieurs jours de navigation au près.
 
Je confirme les divers récits sur le sujet : sur de longues distances c'est pénible. Le bateau tape violemment dans chaque vague, avec des chocs brutaux qui rendent le sommeil difficile. La cabine avant devient inhabitable : le capitaine va donc émigrer pour dormir dans le carré. L'étrave enfourne en permanence, soulevant des gerbes d'écume et des paquets de mer qui inondent pont et cockpit.
 

L'équipage est confiné à l'intérieur, les incursions au-dehors se limitent aux strictes nécessités de la veille. La gîte constante entrave tous les mouvements : tout se fait d'une main, l'autre servant à se cramponner à quelque chose – et sur un Hanse il n'y a pas grand chose... Pour tout arranger, il fait un temps genre terre-neuvien : froid, grisaille, nuages épais, embruns et humidité partout. Cerise sur le gâteau, il y a un courant contraire de plus d'un nœud sur tout ce parcours.
 

C'est là qu'intervient la loi de Murphy, dite de l'emm... maximum et très prisée des navigateurs : quand ça peut aller mal, ça va mal... ou pire ! Les principaux épisodes, survenus pratiquement tous le même jour :

1- Les fuites : les hublots mal collés se décollent, et c'est bientôt l'inondation sur la table à cartes, juste là où se trouvent l'électronique et toute la distribution électrique... Fuites également dans les cabines, sur les panneaux de pont et les passe-coques pourtant réparés au Marin, mais insuffisamment.

Il faudra plusieurs heures de combat mobilisant tout l'équipage, pistolet à sika à la main, pour colmater les brèches qui se propagent de loin en loin jusqu'à épuiser nos réserves de produit. Nous arrivons à une relative étanchéité, du moins les fuites se limitent à quelques gouttes contrôlables.

2- l'Iridium en panne : au plus fort de la brafougne, plus de météo, plus de communication avec la terre (Armelle Services surtout !). L'ordinateur donne des messages d'erreur incohérents qui m'égarent dans la recherche de la cause, car en même temps le logiciel de navigation ScanNav plante. Il me faudra une journée entière pour identifier le convertisseur USB de l'Iridium comme origine du problème : je le remplace par celui de l'AIS, je fais un gros ménage dans l'ordinateur et je retrouve enfin la connexion satellite. Soulagement général !

3- Le pilote en panne : le pire qui puisse arriver, la condamnation à se relayer à la barre 24h sur 24 jour et nuit. Colin prend la barre (c'est la nuit tombante, bien entendu) et Alain et moi allons fouiller tout le bateau car les anémos et le GPS-traceur sont aussi en sommeil : panne générale du réseau de navigation en fait. Alain débusque le fautif dans le fond de sa cabine : un raccord NMEA qui a fondu et fait court-circuit. Non, ça n'a pas cramé au-delà...
 

Après avoir isolé ce raccord, le miracle se produit : le pilote se remet en marche ! Soulagement encore plus général qu'au chapitre précédent !!

Il reste que le traceur-GPS reste muet, donc les systèmes de secours vont entrer en action : l'AIS et la balise satellite pour les positions (il y a 5 GPS à bord) et ScanNav sur l'ordinateur pour le suivi de route, en entrant manuellement les positions.




 
4- Le feu de nav tribord en panne : il ne restait que celui-là d'intact... Après crapahutage sur la plage avant (sangles, cirés et gilets de sauvetage capelés) il s'avère que l'ampoule est bonne. Les contacts du boîtier n'ont pas dû apprécier leurs centaines de bains de mer forcés, ils sont très peu protégés... Là, pas de solution.


5- La DuoGen en panne : c'est presque un amusement, un bout de filet coincé dans l'hélice. Relevage de l'engin, extraction, remise à l'eau, et c'est reparti.










Avec l'équipage exceptionnel que j'ai, chacun de ces problèmes a trouvé une solution et aucun n'a dégénéré en catastrophe. Travail d'équipe, ou plutôt mission de commando vu les conditions ! Rien n'a entamé notre optimisme et d'ailleurs le lendemain nous avons fêté LA journée sans avarie.


Le 18 juillet Teles rattrape la route initiale vers Gibraltar, et nous pouvons enfin abattre et naviguer (un peu) au portant: un pâle soleil salue cette embellie pour notre premier repas dehors depuis plusieurs jours.

En même temps, nous nous libérons du courant et le vent de largue d'un bon force 5 nous pousse à 8 nœuds vers Gibraltar. Il reste à franchir un passage à force 7 dans deux jours vers le cap portugais de Sao Vicente, peut-être pourrons-nous passer avant...



Coup de vent avant le Portugal

La zone de vent fort approche : chute du baromètre, entrée dans la partie descendante de l'anticyclone le long de la côte du Portugal, ce qu'on appelle les alizés portugais.

Il y aura au moins 30 nœuds de vent de nord et nous nous préparons à l'épreuve : l'intérieur est rangé, portes de placards verrouillées, vannes fermées ; sur le pont rien ne traîne, les panneaux solaires sont repliés, chaque bout lové et fixé.

Une série de sandwiches est préparée par Colin.

Le pilote et la production d'énergie sont vérifiés, tout fonctionne normalement.




Je garde le cap au 90° en restant au nord de notre route : cela nous laisse une bonne marge pour abattre vers le sud-est quand le travers ne sera plus tenable.

En parfait accord avec les prévisions météo, le vent monte progressivement dans l'après-midi du 19 juillet. A 25 nœuds nous prenons le 3ème ris.
   
A la nuit tombante, l'anémo donne 28 nœuds établis, la mer commence à lever avec des creux de plus de 2 m. Le bateau exécute quelques autolofées et nous abattons un peu. Vers minuit les 30 nœuds sont atteints puis le vent va s'établir entre 33 et 35 nœuds avec de fortes rafales. La pleine lune éclaire le paysage : les creux dépassent 4 m, les embruns forment une dentelle à la surface de la mer couverte d'écume. Un grondement assourdissant accompagne les vibrations du gréement. Le pont est submergé de paquets de mer, le cockpit se remplit régulièrement jusqu'à 30 cm de hauteur d'eau qui s'évacue en torrent par l'arrière. Les passavants sont des rivières, le rail de fargue sous le vent est dans l'eau et la bôme touche la surface de la mer à plusieurs reprises lors de départs au lof bien rattrapés par le pilote. J'ai abattu en fuite pour rester manœuvrant au largue – grand largue, et le bateau reste aussi stable que possible à part quelques embardées quand l'arrière est puissamment soulevé par les vagues.

A l'intérieur les quarts sont pris dans l'ordre habituel mais le sommeil est difficile dans le chahut ambiant. Les fuites ne se sont pas aggravées, ce qui est un exploit : les hublots ont des airs d'aquarium ! Au lever du jour, le spectacle est grandiose : le bateau caracole sur un océan de crêtes fumantes, plonge dans des gouffres de 4 à 5 m puis remonte hissé par une force irrésistible. Il surfe au sommet des rouleaux qui passent sous l'étrave pour déferler en fracas devant nous. Dommage que le circuit de navigation soit en panne, c'est dans ces circonstances qu'on enregistre des vitesses instantanées de plus de 11 nœuds et des pointes de vent que nous préférons ne pas imaginer ! L'équipage reste serein malgré une petite montée d'adrénaline et une pensée quasi-unique : pourvu que le pilote tienne ! Devoir barrer dans ces conditions relèverait de la haute voltige. Pour ma part ce sont plutôt les hublots qui m'inquiètent : si l'un d'eux venait à partir, l'intérieur serait inondé en quelques minutes... Mais l'épaisseur des couches de sika que nous avons posées forme un matelas rassurant et rien ne bouge.
 
Toute la matinée suivante le vent reste supérieur à 30 nœuds et remonte par moments vers les 35. La mer est toujours très forte. L'équipage reste à l'abri sauf pour de courtes incursions qui sont immanquablement sanctionnées par une douche monumentale. Il y a du trafic et pas mal de cargos nous frôlent de très près. Heureusement nous sommes repérés par l'AIS, sinon aucun cargo ne nous verrait dans ce tableau à la Turner !

Ce n'est qu'en fin d'après-midi qu'on perçoit enfin un début de mollissement. A 26 nœuds nous avons presque l'impression d'une brise légère, bien que les vagues restent à 3-4 m. Je ne résiste pas à l'envie de prendre la barre, bien couvert et sanglé, pour une bonne heure et demie de chevauchée grisante.
 


Au crépuscule nous commençons à larguer les ris, le dernier sera retiré à 2h du matin. L'épisode "musclé" aura duré largement 24 heures. C'est l'heure du bilan des dégâts : un chandelier tordu, un rivet éjecté sur un panneau solaire, le feu de nav arrière en pièces détachées ; somme toute peu de chose. Nous avons repris dès que possible une route plein est par vent travers qui secoue un peu, mais il faut absolument sortir de cette zone et se réfugier sous le cap Sao Vicente car une deuxième vague de vent violent s'annonce, probablement près des 40 nœuds. Nous n'en sommes pas loin car le vent remonte un peu au-delà des 20 nœuds, mais nous finissons par échapper aux caprices d'Eole et prenons le cap direct sur Gibraltar.
 
La trace de Teles de Horta à Barbate

Nous ne passerons pas le détroit : la météo donne toujours du vent d'est fort dans le passage. Nous allons donc faire halte à Barbate, le dernier port atlantique sur la côte espagnole. Barbate est réputé pour ses filets à thons géants (les filets, pas les thons !) bien placés devant l'entrée du port, l'atterrissage est déconseillé de nuit. Ça tombe bien, nous y arrivons vers 3 h du matin...

Les cartes indiquent de vastes zones d'élevage marquées par des cardinales saisonnières à des dates variables, mais fin juillet elles doivent toutes être en place. Nous arrivons devant un scintillement de feux dans tous les sens où il est très difficile de se repérer. N'ayant plus le GPS à la barre, je vais faire ma route par points successifs reportés sur la carte toutes les 10, voire 5 mn. Nous avons un fort courant portant au nord-ouest qui nous fait beaucoup dériver, donc perturbe nos relèvements. Je manque de peu une cardinale qui ne devrait pas être là sur mon relevé fait 5 minutes plus tôt ! La suivante n'est pas trouvable. Aucun feu ne correspond aux cartes redondantes dont nous disposons ! Nous allons errer plus d'une heure dans l'obscurité à petite vitesse en contournant largement la zone et arriver enfin devant l'entrée du port sans incident. Le lendemain nous aurons la clé du problème : on nous apprend à la capitainerie que tout ce bazar est retiré depuis plusieurs semaines, il n'est en place que de mars à juin ! Les cartes ayant tout faux, nous chercherons une carte de la zone précise et à jour, mais ni la capitainerie, ni les clubs nautiques ou ships du coin n'en possèdent.

A 8h du matin nous avons dormi 2 heures sur le ponton carburant. Le plein est fait, on nous attribue une place dans ce grand port très laid mais très fonctionnel et parfaitement abrité.
  
Au port de Barbate

Nous avons peu de temps, mais cette escale va permettre une grande remise en ordre du matériel et un peu de répit pour l'équipage.
 

Gibraltar : entrée en méditerranée

Pendant la courte escale de Barbate, mes équipiers vont accomplir de véritables prodiges.

Colin va s'occuper du tube d'enrouleur d'étai qui s'est déboîté à mi-hauteur. Nous le hissons en tête de mât : quelques vis sont parties (heureusement la révision du gréement avait été faite au Marin, chaude recommandation pour l'entreprise Caraibe Gréement...). Une vis restante est prélevée puis nous passons au chantier voisin qui en a, mais bien entendu pas de la bonne taille.
   
Petit passage à l'atelier pour scier les vis, puis Colin est remonté au mât, repose les vis collées au sika et vérifie toute la hauteur de l'étai.
 
Alain éventre tout l'arrière du bateau, décidé à restaurer le réseau NMEA et récupérer le GPS du bord. C'était impossible, il l'a fait : après 2 bonnes heures à passer des câbles trop courts dans des gorges trop étroites, tous les voyants s'allument, et je reçois même de nouveau l'ensemble des données sur l'ordinateur.
 
Opération à cœur ouvert...
 
Ma modeste contribution va porter sur la réinstallation du feu de nav bâbord et du câblage extérieur des panneaux solaires, l'installation faite par Caraibe Machin (toujours les mêmes !) n'ayant pas tenu 4 semaines.

Nous réussissons à grappiller quelques minutes de promenade : l'endroit est magnifique, sauvage, avec une plage de sable fin immense et quasi déserte, de vastes étendues arides, un décor de western avec les vagues de l'atlantique.
 
   

Un peu de lessive, une bonne douche (les installations ont beaucoup vécu, où sont les plombiers...?), et nous aurons une petite nuit au port. Pas de wifi, dommage : pour mettre les photos sur le blog il faudra attendre la fin de l'histoire... Départ le lendemain 6h pour attraper la marée et les courants dans le détroit.
 

Nous quittons le port discrètement, il fait encore nuit noire dans cette région à l'extrémité ouest du fuseau horaire. Nous trouvons un bon vent d'ouest, comme prévu, et arrivons en moins de 2 heures à l'entrée du détroit de Gibraltar.














Trafic dense dans le détroit


Le courant portant à l'est et le vent d'ouest se conjuguent pour nous pousser à 8 nœuds devant Tarifa puis le rocher de Gibraltar, croisant le rail des cargos qui sortent en file indienne.
 
Le phare de Tarifa
 
Le rocher de Gibraltar
 

La côte marocaine est bien visible malgré la brume qui se lève lentement. Trois heures plus tard, nous sommes en méditerranée après une vraie promenade dans ce décor hautement symbolique.


A suivre ici
 

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