30 avril 2016

Malte-Grèce : le convoyage des records

Cette traversée couvre presque 600 milles nautiques pour amener Shrubb de Malte en Grèce, côté Mer Égée. 

Ce devait être une balade tranquille de trois ou quatre jours, mais le sort en a décidé autrement. 

Après maintenant quatre ans à la barre de Shrubb, ce bateau réserve encore des surprises.




24 avril : Malte, St Julian's Bay. Après notre tour de Malte, c'est le moment du changement d'équipage.

Les arrivants sont des habitués : Alain et Mohamed


Mohamed a apporté le régulateur manquant pour les panneaux solaires. Il est immédiatement monté et va bien nous servir.





Briefing autour d'une table du port
Les partants : direction l'aéroport

 
La route prévue nous met cap est-nord-est, contournement du Péloponnèse par le sud puis remontée de sa côte est pour arriver à Porto Heli, dans le Golfe Argolique : 490 milles nautiques théoriques en ligne droite.

La météo nous sourit : après 2 semaines de vent d'est ininterrompu, le vent tourne au nord-ouest juste le jour du départ. Il est prévu jusqu'à force 6 le deuxième jour, je considère qu'on aura du 7, dans les 30 nœuds et probablement un peu plus au sud de l'Adriatique : au portant, ce n'est pas déraisonnable et nous allons tracer !


Nous levons l'ancre à 17h. Le vent est à 21 nœuds, nous partons grand largue sous grand-voile seule, vitesse de 9 nœuds. La houle atteint vite 2 m de creux.

Deux heures plus tard nous passons au milieu de dizaines de cargos à l'arrêt, voire au mouillage sur une zone de hauts fonds dénommée le Plateau Maltais.








L'écran AIS est saturé
Insolite, cette forêt de géants immobiles
La nuit vient sans changement de régime. Les quarts se succèdent, nous avalons les milles sous la pleine lune...
  
   

25 avril : au lever du jour, le vent monte vers les 27 nœuds et nous réduisons à 1 ris en ouvrant un demi-génois. Le bateau est mieux équilibré, le pilote maintient une trajectoire parfaite.


Le moteur tribord est mis en route pour récupérer la décharge de la nuit, car le pilote travaille beaucoup. Le Sterling assure une bonne recharge.

    

Premier record :

Vers 8 h, le vent atteint 33 nœuds, levant une houle de 3 m mais longue et régulière, sans déferlantes. Shrubb décolle, dépasse les 15 nœuds sur les surfs, jusqu'à plusieurs pointes approchant les 20 nœuds, dans des gerbes de plusieurs mètres de hauteur soulevées par les étraves.

Shrubb glisse en dévalant les pentes liquides sur ses deux coques comme un skieur alpin sur une piste noire. Le record est battu à 21,7 nœuds, vitesse maximale enregistrée sur le journal de bord électronique !





   

Deuxième record :

Le vent revient à 20 nœuds en fin de matinée et nous gardons une vitesse de croisière de 10 nœuds. A 17 h, le GPS indique une distance parcourue de 216 milles en 24 heures, soit 9 nœuds de moyenne : le record obtenu en transat en 2014 est battu.







 

Troisième record :

En fin de journée, le vent tombe un peu. Le ris est largué mais vite repris car ce mollissement s'avère très passager. Il faut faire un peu tourner le moteur bâbord... il refuse de démarrer ! La panne semble identique à celle survenue sur le moteur tribord deux semaines plus tôt : le boîtier électronique de démarrage serait-il mort sur les deux moteurs presque au même moment ? 

26 avril : le vent est remonté dans la nuit au-dessus de 25 nœuds. A 1h30, je suis de quart, les rafales atteignent 32 nœuds. Il faut réduire et je réveille l'équipage. Au moment de démarrer le moteur tribord pour assurer la prise de ris, j'ai un fort pressentiment... et en effet le moteur restant ne démarre pas ! Curieusement, je ne suis presque pas étonné de battre ce record, moins enviable que les autres, des deux moteurs en panne simultanément !

Nous réussissons cependant la manœuvre : l'équipage est à la hauteur et le pilote maintient le bateau sans faillir. Nous prenons directement les 3 ris dans la grand-voile, en gardant le génois à demi enroulé. 

Au matin, la côte grecque est en vue.

Le vent de nord-ouest est à 36 nœuds, la mer est forte avec des déferlantes qui inondent le cockpit, l'allure reste régulière à 9 nœuds mais le bateau est pas mal secoué.






Nous entrons à 10 h dans le Golfe de Messiniakos où nous trouvons enfin un peu de calme après ces heures qui devenaient éprouvantes pour les hommes et le bateau. Nous avons parcouru 426 milles depuis Malte en moins de 48 heures.

Une traversée quasi-rectiligne

Il y a trop d'agitation pour entreprendre un dépannage des moteurs, et nous sommes réduits à un rationnement général : toute l'énergie est dévolue au pilote et l'eau douce est comptée. Les frigos sont arrêtés, les douches sont interdites, les diverses pompes sont actionnées selon stricte nécessité. 

Nous partons en intenses réflexions. Alain n'arrive pas à trancher entre différentes hypothèses comme causes de ces pannes simultanées.

 

Nous aurions pu poursuivre à ce train effréné et arriver à destination en une petite journée de plus, mais les dernières prévisions météo confirment la nécessité d'une pause : le flux de nord-ouest, dévalant l'Adriatique, n'est pas encore à son apogée et le passage des caps au sud du Péloponnèse serait potentiellement dangereux.







Prévisions pour le 26 au soir


Ce coup de vent ne va pas durer, et dès le lendemain le risque est de ne plus avoir de vent du tout. 
Sans moteurs, l'exercice devient compliqué ! 
Le routage nous donne une fenêtre de départ de notre abri à 3 heures du matin (après avoir corrigé le décalage horaire).








Prévisions pour le 27


En attendant, nous sommes relativement à l'abri mais impossible de mouiller sans moteur, c'est à dire sans guindeau. Nous commençons par tirer des bords, juste par amusement, en économisant le pilote.

Mohamed s'éclate à la barre

Après quelques heures de ce petit jeu, nous mettons le bateau à la cape courante pendant 2 heures, ce qui nous donne vitesse et direction de la dérive. Puis nous remontons au fond du golfe, en calculant la dérive à venir pendant la nuit pour être à la bonne position au moment de partir à l'heure dite.




Shrubb bien stable à la cape 

 
De jolis zigzags...

Les délices de Mohamed remontent le moral des troupes

 
27 avril : 3 h du matin, équipage reposé, départ comme prévu. Au moins à la cape, la manœuvre est facile : il suffit de border les écoutes et nous démarrons sous un vent de nord-ouest de 12 nœuds, fraîchissant jusqu'à 16 nœuds.
  

Au lever du jour nous sommes à l'ouest de Cythère, le vent mollit puis tombe complètement : pétole !

Le soleil grec est chaud, ça tape !



Le capitaine n'est pas ravi...

Alors que le cerveau d'Alain est au bord de la fusion à force de cogitations sur les pannes moteurs, nous démontons, intervertissons, remontons les boîtiers électroniques, sans succès. Le grand soleil permet de regonfler les batteries par les panneaux, et nous prévoyons une tentative de démarrage à partir des batteries de service en fin de journée.

A midi, le vent est de retour et monte assez vite à 16 nœuds. Nous mettons le cap vers le nord de Cythère et passons le cap Maléas, célèbre pour ses surventes. En effet nous avons droit à 32 nœuds au passage du cap : avec toute la toile, c'est un peu limite...




Le redoutable cap Maleas
19h30 : le soleil a perdu de sa vigueur, les batteries sont à leur maximum possible de charge. C'est le moment.

Vas-y, démarre !
Moteur bâbord : après plusieurs sollicitations, quelques clics et hoquets se font entendre, puis un ébranlement laborieux. Je joue le tout pour le tout au risque de vider les batteries, et il démarre enfin, avec vibrations et grosse fumée blanche vite dissipée. Euphorie générale !

On se congratule !
Moteur tribord : même scénario, je réussis à le mettre en marche mais il cale. Nous laissons le moteur bâbord tourner et recharger une bonne heure, puis nouvelle tentative, cette fois avec succès.

Ils tournent !
Ça s'arrose !
Diagnostic : la batterie bâbord, récente, a été fusillée par nos opérations de charge un peu imprudentes avec le Sterling en Sicile ; la batterie tribord, ancienne, est morte de vieillesse après l'hivernage car, contrairement à l'autre, elle n'est pas chargée au repos par les panneaux. Le boîtier électronique sera de nouveau testé après l'arrivée et sa défaillance confirmée. Nous avons donc eu 3 pannes groupées : de quoi être déroutés un bon moment.










Nous ne sommes qu'à une vingtaine de milles de Porto Heli, je laisse les moteurs tourner jusqu'à notre arrivée finale car l'exploit du redémarrage n'est pas garanti à tout coup et les batteries de service en ont assez vu.

Tout peut être remis en marche : le dessalinisateur, les frigos... et chacun se précipite sous la douche.







La fin du parcours


Quatrième record :

Nous entrons dans la nuit dans le Golfe Argolique, après 3 jours de navigation, plus de 560 milles à 100 % sous voiles. C'est aussi un record en méditerranée.

28 avril, 3h du matin : mouillage (3 tentatives, accroche difficile sur sable dur) dans la baie de Verveirouda juste à l'ouest de Porto Heli.

Verveirouda au matin


De là nous rejoignons Porto Heli, où on nous installe sur le corps-mort réservé.

Nous avons parcouru 578 milles depuis Malte.





Porto Heli : la zone de mouillage organisé

Le ponton de Franks Yacht Station est pratique pour débarquer.

Il y a une station-service juste au-dessus, où nous trouvons des batteries de démarrage qui sont aussitôt installées.











Un dernier tour dans la cale moteur
La station de grutage et les quais
  
Régal typiquement grec
       


Dernière nuit au mouillage dans cette baie entièrement protégée. Les petits soucis de la traversée sont effacés. Il en reste une expérience des plus enrichissantes, grâces soient rendues au sang-froid et à la solidité de mon équipage.
 


Merci à Mohamed pour sa contribution en photos

 

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